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Laura Hayward faisait les cent pas dans son bureau en jetant de fréquents coups d’œil à la pendule accrochée au mur. Il lui fallait impérativement canaliser son énergie si elle ne voulait pas exploser et elle préférait encore tourner en rond.
Elle avait passé la soirée à comparer tous les éléments dont elle disposait, avec ceux qu’elle avait pu obtenir de Washington et de La Nouvelle-Orléans à force de persuasion et de ténacité, de cajoleries et de menaces. Elle avait débarrassé le panneau de liège de son bureau de tout ce qui y était affiché et s’était appliquée à réunir en quatre grands secteurs les indices recueillis après l’assassinat de Torrance Hamilton le 19 janvier, de Charles Duchamp le 22, de Michael Decker le 23, et de Margo Green le 26. Il y avait là des tirages de fibres et de cheveux pris au microscope, des clichés de nœuds et de traces de pas, les rapports des médecins légistes, les analyses des taches de sang, des photos prises sur les lieux des crimes, des relevés d’empreintes digitales, des schémas indiquant les déplacements du meurtrier et une multitude d’autres indices plus ou moins parlants. Accrochés avec des punaises de couleur, des fils rouges, jaunes, verts et bleus reliaient entre eux les éléments en rapport les uns avec les autres, et ils étaient nombreux. Si le mode opératoire était à chaque fois différent, Hayward avait la conviction qu’une seule et même personne se trouvait derrière ces quatre meurtres.
Elle en était même sure.
Le rapport que venait de lui fournir le meilleur spécialiste de psychologie criminelle du NYPD, soigneusement rangé sur son bureau, allait dans ce sens. Mieux, le psychologue dressait un profil de l’assassin. Un profil pour le moins surprenant.
Personne ne se doutait encore de rien à La Nouvelle-Orléans, à Washington, ou encore au siège du FBI. Rocker et Singleton n’étaient pas davantage au courant, mais ils avaient affaire à un tueur en série. Un tueur intelligent, méthodique, froid, sans scrupule, et totalement dérangé.
Lorsqu’elle dirait à Rocker que les quatre affaires étaient liées, ça allait barder, le FBI, déjà sur les dents à la suite du meurtre de Decker, allait leur tomber dessus à bras raccourcis. Sans parler de la presse qui serait ravie d’en faire ses choux gras. Les tueurs en série ont toujours fait vendre du papier, et celui-ci battait tous les records. Elle voyait déjà la nouvelle s’afficher en lettres énormes à la une du Post. Le maire allait vouloir s’en mêler, peut-être même le gouverneur, et Dieu sait où tout ce cirque s’arrêterait.
Mais il lui manquait encore la dernière pièce du puzzle, la plus importante, avant d’appeler Rocker. La pièce maîtresse. Quoi qu’il en soit, elle savait déjà qu’elle se retrouverait aux premières loges à l’heure de la curée, tant les conséquences politiques étaient terribles. Elle n’avait pas le droit à l’erreur si elle voulait encore sauver sa peau.
Elle s’arrêta brusquement en entendant un coup discret à la porte.
— Entrez !
Un homme passa la tête dans l’entrebâillement, une grande enveloppe à la main.
— Où étiez-vous ? Ça fait deux heures que j’attends ce rapport !
— Je suis désolé, bégaya l’homme en pénétrant timidement dans la pièce. Comme je vous l’ai dit au téléphone, on a préféré refaire la vérification trois fois de suite avant de...
— C’est bon. Donnez-moi ça.
Il lui tendit l enveloppe d’une main tremblante, comme s’il avait peur de se faire mordre.
— Vous avez pu reconstituer l’empreinte ADN ? demanda-t-elle.
— Oui, grâce au sang retrouvé sur le cutter et grâce à la tache sur le plancher de l’exposition. La même empreinte dans les deux cas, mais pas celle de la victime. Et c’est là que ça se complique. Comme l’ADN ne figurait dans aucun des fichiers criminels du FBI, on a suivi vos conseils, on l’a comparé à toutes les autres bases de données disponibles. On a fini par faire mouche dans une base de données fédérale, mais il a fallu faire des pieds et des mains pour obtenir le nom de la personne concernée du fait de clauses de confidentialité. Et alors...
— Et alors ? le poussa gentiment Hayward.
— J’ai revérifié trois fois parce que je voulais être certain de ne pas me tromper. C’est de la dynamite, capitaine.
— Alors ? insista Hayward, suspendue à ses lèvres.
— Vous n’allez pas me croire. Figurez-vous que l’ADN est celui d’un des meilleurs agents du FBI.
Hayward poussa ce qui ressemblait à un ouf de soulagement.
— Mais si, je vous crois. Dieu soit loué, je vous crois même tout à fait.